Dimanche soir, Manuel Valls était l’invité de Claire Chazal sur le plateau de TF1, en empruntant à plusieurs reprises une rhétorique de droite : « Europe passoire », « trop d’impôt, tue l’impôt », le premier ministre a, une nouvelle fois, fait reculer la gauche dans les têtes.
20h13 : interrogé sur les élections
européennes à venir, le premier ministre a répondu en invoquant « l’Europe
passoire » qui nourrirait selon lui le scepticisme européen de nos
compatriotes. Les mots ont un sens, et un contenu politique. Précisément, ces
mots qu’a repris le premier ministre ont longtemps été ceux des populistes et
de l’extrême droite pour dénoncer une Europe qui serait incapable de se
protéger face au péril « civilisationnel » qui nous guetterait :
celui de l’immigration. C’est cette « Europe passoire » que dénonçait
également Nicolas Sarkozy, quelques jours avant le second tour de l’élection
présidentielle, dans une dérive droitière contre l’espace Schengen.
Alors que nous ne parvenons pas à oublier les
images des plages italiennes de Lampedusa, entendre notre
premier ministre « socialiste » parler d' « Europe
passoire » est une nouvelle blessure qui nous est infligée.
Utiliser les mots de l’ennemi, c’est au mieux
battre en retraite, sinon le renforcer. Plutôt que de reprendre la rhétorique
du Front National, la gauche au pouvoir doit renouer avec un discours positif à
l’égard de l’immigration pour reconquérir les têtes. Nous aurions aimé entendre
Manuel Valls affirmer que l’immigration constitue une chance économique et un
apport culturel dont l’Europe aurait tort de se priver. Nous aurions aimé que
Manuel Valls rappel que dans notre pays, l’immigration n’es pas un
« coût » (autre rhétorique de l’extrême droite), mais constitue une
source de revenu puisqu’elle représente, chaque année, un gain de plus de 12,5
milliards pour l’économie de notre pays. Nous aurions aimé que Manuel Valls
évoque la conclusion du très officiel Comité d’orientation des retraites selon
lequel : « L’entrée de 50 000 nouveaux immigrés par an permettrait de
réduire de 0,5 point de PIB le déficit des retraites ». Enfin, nous aurions aimé entendre Manuel Valls affirmer que l'Europe avait la responsabilité de soutenir des projets de développements viables, générateurs d'emplois et de croissance dans les pays où la pauvreté et la misère pousse à l'émigration. Il faut aller vers plus de coopération entre les peuples plutôt que de les opposer ou les mettre en concurrence.
Mais tout cela, il ne l’a pas dit, et la gauche a
reculé dans les têtes. L’extrême droite se frotte les mains
20h19 : Le premier ministre est alors interrogé
sur le niveau des impôts dans notre pays. « Trop d’impôt, tue l’impôt »,
reprend-il du tac au tac, faisant siens les propos, contestables et contestés, de
l’économiste Arthur Laffer, conseiller de… Ronald Reagan. Promoteur acharné du
moins disant fiscal, ce dernier affirme qu’une trop forte imposition des
revenus les plus élevés constitue une « pression fiscale » qui découragerait
le travail, et l’activité, et donc verrait les recettes fiscales
diminuer : Trop d’impôt, tue l’impôt. Fin de l’histoire.
Mais, au-delà de son inspiration très libérale, la
courbe de Laffer ne résiste pas à l’épreuve des faits. Les nombreuses
expériences de baisses d'impôts consenties aux Etats-Unis ou en Europe, ne se
sont jamais traduites par une augmentation des recettes fiscales. Bien au
contraire, elles ont davantage contribué à dégrader les comptes publics et au recul
de la puissance étatique.
Nous ne reprochons pas à Manuel Valls, de faire un
geste fiscal pour les foyers les plus modestes, mais bien de relayer le refrain
qu’entonnait déjà Thatcher et Reagan il y a 30 qui fait de l’impôt un
prélèvement confiscatoire qui pèse, à l’instar des cotisations sociales, sur
notre économie. Nous aurions aimé que Manuel Valls défende l’impôt comme un
attribut essentiel de la citoyenneté et du financement des politiques
publiques, issues du suffrage universel. L’impôt progressif auquel la gauche
est attachée, c’est la main visible du citoyen et de ses représentants pour
corriger les inégalités et s’attaquer à l’accaparement des richesses par une
petite minorité. Nous aurions aimé que Manuel Valls défende un impôt progressif
qui mette réellement à contribution nos concitoyens selon leurs moyens,
condition de la réalisation d’une République sociale et solidaire. Nous aurions
aimé que Manuel Valls défende, comme François Hollande s’y était engagé lors de
la campagne présidentielle, une révolution fiscale qui rendrait la contribution
de chacun plus juste par la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu et qui
imposerait les revenus du capital, à hauteur de ceux du travail. Enfin, nous
aurions aimé que Manuel Valls annonce un réel plan de lutte contre la fraude
fiscale qui représente, chaque année, un manque à gagner de plus de 60
milliards d’euros. Voilà ce qui tue l’impôt.
Mais tout cela, il ne l’a pas dit, et la gauche a
reculé dans les têtes. Les libéraux se frottent les mains.
En reprenant la rhétorique de nos adversaires, tel
que « Europe passoire » ou « Trop d’impôt, tue l’impôt »,
Manuel Valls substitue au vocabulaire de l’émancipation et du progrès celui de
la régression et du conservatisme.
Gauche...droite...alimenter le clivage, même derrière de jolies phrases creuses, ne fait que plomber le débat et niveler vers le bas. On attend tellement mieux des élites, mieux que la "normalité", et mieux que la bassesse de se voir réduit à faire une anti politique. #affligeant
RépondreSupprimer