lundi 12 mai 2014

#BringBackOurLeft


           
Dimanche soir, Manuel Valls était l’invité de Claire Chazal sur le plateau de TF1, en empruntant à plusieurs reprises une rhétorique de droite : « Europe passoire », « trop d’impôt, tue l’impôt », le premier ministre a, une nouvelle fois, fait reculer la gauche dans les têtes.

20h13 : interrogé sur les élections européennes à venir, le premier ministre a répondu en invoquant « l’Europe passoire » qui nourrirait selon lui le scepticisme européen de nos compatriotes. Les mots ont un sens, et un contenu politique. Précisément, ces mots qu’a repris le premier ministre ont longtemps été ceux des populistes et de l’extrême droite pour dénoncer une Europe qui serait incapable de se protéger face au péril « civilisationnel » qui nous guetterait : celui de l’immigration. C’est cette « Europe passoire » que dénonçait également Nicolas Sarkozy, quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle, dans une dérive droitière contre l’espace Schengen.
Alors que nous ne parvenons pas à oublier les images des plages italiennes de Lampedusa, entendre notre premier ministre « socialiste » parler d' « Europe passoire » est une nouvelle blessure qui nous est infligée.
Utiliser les mots de l’ennemi, c’est au mieux battre en retraite, sinon le renforcer. Plutôt que de reprendre la rhétorique du Front National, la gauche au pouvoir doit renouer avec un discours positif à l’égard de l’immigration pour reconquérir les têtes. Nous aurions aimé entendre Manuel Valls affirmer que l’immigration constitue une chance économique et un apport culturel dont l’Europe aurait tort de se priver. Nous aurions aimé que Manuel Valls rappel que dans notre pays, l’immigration n’es pas un « coût » (autre rhétorique de l’extrême droite), mais constitue une source de revenu puisqu’elle représente, chaque année, un gain de plus de 12,5 milliards pour l’économie de notre pays. Nous aurions aimé que Manuel Valls évoque la conclusion du très officiel Comité d’orientation des retraites selon lequel : « L’entrée de 50 000 nouveaux immigrés par an permettrait de réduire de 0,5 point de PIB le déficit des retraites ». Enfin, nous aurions aimé entendre Manuel Valls affirmer que l'Europe avait la responsabilité de soutenir des projets de développements viables, générateurs d'emplois et de croissance dans les pays où la pauvreté et la misère pousse à l'émigration. Il faut aller vers plus de coopération entre les peuples plutôt que de les opposer ou les mettre en concurrence.
Mais tout cela, il ne l’a pas dit, et la gauche a reculé dans les têtes. L’extrême droite se frotte les mains
20h19 : Le premier ministre est alors interrogé sur le niveau des impôts dans notre pays.  « Trop d’impôt, tue l’impôt », reprend-il du tac au tac, faisant siens les propos, contestables et contestés, de l’économiste Arthur Laffer, conseiller de… Ronald Reagan. Promoteur acharné du moins disant fiscal, ce dernier affirme qu’une trop forte imposition des revenus les plus élevés constitue une « pression fiscale » qui découragerait le travail, et l’activité, et donc verrait les recettes fiscales diminuer : Trop d’impôt, tue l’impôt. Fin de l’histoire.
Mais, au-delà de son inspiration très libérale, la courbe de Laffer ne résiste pas à l’épreuve des faits. Les nombreuses expériences de baisses d'impôts consenties aux Etats-Unis ou en Europe, ne se sont jamais traduites par une augmentation des recettes fiscales. Bien au contraire, elles ont davantage contribué à dégrader les comptes publics et au recul de la puissance étatique.
Nous ne reprochons pas à Manuel Valls, de faire un geste fiscal pour les foyers les plus modestes, mais bien de relayer le refrain qu’entonnait déjà Thatcher et Reagan il y a 30 qui fait de l’impôt un prélèvement confiscatoire qui pèse, à l’instar des cotisations sociales, sur notre économie. Nous aurions aimé que Manuel Valls défende l’impôt comme un attribut essentiel de la citoyenneté et du financement des politiques publiques, issues du suffrage universel. L’impôt progressif auquel la gauche est attachée, c’est la main visible du citoyen et de ses représentants pour corriger les inégalités et s’attaquer à l’accaparement des richesses par une petite minorité. Nous aurions aimé que Manuel Valls défende un impôt progressif qui mette réellement à contribution nos concitoyens selon leurs moyens, condition de la réalisation d’une République sociale et solidaire. Nous aurions aimé que Manuel Valls défende, comme François Hollande s’y était engagé lors de la campagne présidentielle, une révolution fiscale qui rendrait la contribution de chacun plus juste par la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu et qui imposerait les revenus du capital, à hauteur de ceux du travail. Enfin, nous aurions aimé que Manuel Valls annonce un réel plan de lutte contre la fraude fiscale qui représente, chaque année, un manque à gagner de plus de 60 milliards d’euros. Voilà ce qui tue l’impôt.
Mais tout cela, il ne l’a pas dit, et la gauche a reculé dans les têtes. Les libéraux se frottent les mains.
En reprenant la rhétorique de nos adversaires, tel que « Europe passoire » ou « Trop d’impôt, tue l’impôt », Manuel Valls substitue au vocabulaire de l’émancipation et du progrès celui de la régression et du conservatisme.

 

1 commentaire:

  1. Gauche...droite...alimenter le clivage, même derrière de jolies phrases creuses, ne fait que plomber le débat et niveler vers le bas. On attend tellement mieux des élites, mieux que la "normalité", et mieux que la bassesse de se voir réduit à faire une anti politique. #affligeant

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