mercredi 21 octobre 2015

Sous la chemise, la lutte des classes.


Le 5 octobre dernier, les salariés d’Air France faisaient tomber la chemise de leur DRH. Le 8 octobre, à l’occasion d’une journée de grève, des dizaines de milliers de salariés manifestaient partout en France sur l’air du tube de Zebda pour faire vivre leur solidarité. En face, la France des « belles personnes » redécouvrait avec terreur la dureté et l’âpreté des conflits sociaux et se rappelait un phénomène qu’elle voulait oublié et révolu, mais qui a fini par leur revenir au visage avec fracas : Celui de la lutte des classes. 
On ne peut pas analyser et comprendre ce qui s’est passé à Air France sans prononcer ces trois mots qui grattent tant l’oreille des puissants.
Nous avons été nombreux à exprimer notre solidarité avec les salarié(e)s d’Air France. Nous comprenons leur colère et leur exaspération et nous avons raison. La direction de la compagnie leur a annoncé, par voie de presse, que 2.900 d’entre eux se verront jetés à la rue dans les mois qui viennent. Pour nombre d’entre nous, c’est bien là que se situe la violence. Cette violence systémique du capitalisme, qui se fait sans cris, sans heurts, sans tumulte, qui se décide dans la discrétion et l’entre soi d’un conseil d’administration, comme le disait Jaurès, mais qui frappe et qui fait mal en précipitant des milliers de travailleur(se)s et leurs familles dans la précarité économique.

La colère qui s’est exprimée ce jour-là signifie quelque chose de fondamental que la gauche doit entendre : désormais dans ce pays, les salariés n’acceptent plus cette violence, ils n’acceptent plus de servir de variable d’ajustement aux stratégies économiques et à la folie financière de leurs dirigeants. Et ils se feront entendre. 
Face à cette violence du capital, le recours à la force devient parfois le seul exutoire quand tous les autres recours ont été obstrués. La pratique du « dialogue social » suppose d’avoir un interlocuteur qui vous entend, qui vous répond. Racontez vos vacances à un sourd muet, vous verrez que le dialogue tournera court. C’est hélas le constat qu’on fait les salariés d’Air France lorsqu’ils se sont adressés à leur direction. Ils ont pratiqué le langage des signes.
Hannah Arendt écrivait en 1972 : « En certaines circonstances, la violence – l’acte accompli sans raisonner et sans réfléchir aux conséquences- devient l’unique façon de rééquilibrer les plateaux de la justice ».

Il y avait de la dignité dans cette colère. Celle de femmes et d’hommes qui font vivre au quotidien une compagnie aérienne dont nous sommes fiers. Celle de femmes et d’hommes simplement mais profondément attachés à leur emploi et engagés à le défendre face à ceux qui ont des intérêts divergents. Cette chemise en lambeau c’est celle des déchireurs déchirés. C’est celle de ceux qui, d’habitude bien à l’abri, déchirent les familles, les vies et le bonheur des autres. C’est un coup de griffe dans l’impunité et la toute-puissance des cols blancs. Et voilà qu’en quelques jours l’image de ces deux sans-chemises est devenue l’étendard  des millions de sans-culottes de notre pays.
Cet étendard il a fait peur à ce peuple des « bonnes personnes », ces habitués des Conseil d’Administration feutrés, ceux-là qui squattent la direction de nos grandes entreprises. Ils ont eu peur de la contagion. Peur que demain, ce soit leur chemise qu’on arrache.

Ils ont raison. Pourquoi ne déchirerions-nous pas celle du PDG de la Société Générale qui envisage de supprimer 2.000 emplois quelques semaines après avoir touché 38 millions d’euros d’argent public au titre du CICE ou celles des dirigeants de Smart qui exigent de leurs ouvriers qu’ils travaillent désormais 39h payées 35h sinon quoi ils licencieront.
Alors pour prévenir de la contagion, tout ce beau monde s’est organisé pour vilipender la réaction des salariés d’Air France, les diaboliser et criminaliser leur colère. Le système médiatique et une grande majorité de la classe politique ont accordé leurs violons, fidèles au vieil adage : « Forts avec les faibles et faibles avec les forts ». « Voyous », « chienlit » a-t-on entendu. Le message qu’il fallait réciter telle une leçon de catéchisme a été le suivant : Les salariés d’Air France sont des sauvages sans foi ni loi qui ont voulu « lyncher » (sic) de respectables dirigeants d’entreprise ».
Et pour bien convaincre de la culpabilité de ces salariés, la démonstration allait s’accompagner d’une opération d’arrestation volontairement spectaculaire. Le 12 octobre, six salariés de la compagnie sont interpellés à 6h du matin à leur domicile puis déférés au parquet 48h plus tard. Dès lors que ce traitement s’apparente plus à celui d’une menace pour la sécurité nationale plutôt qu’à l’interpellation de six salariés, présumés innocents, comment douter de leur culpabilité ?
Mais les Français n’ont pas été dupes. Malgré la fabrique d’une opinion hostile, 54% d’entre eux ont affirmés « comprendre » la violence qui a été celle des salariés.

Plutôt que cette réponse de fermeté et de répression, qui nourrit la tension des rapports sociaux dans la compagnie, et dans toute la société, c’est à l’émergence d’une solution politique qu’il aurait fallu travailler. Une issue qui permette de sortir du conflit et de concilier, sur le temps long, le maintien de tous les emplois et le développement d’une grande entreprise nationale.
Pour cela, des choix doivent être rapidement fait :
La levée immédiate des poursuites et des procédures disciplinaires engagées contre les salariés. Parce que l’acharnement répressif n’est pas favorable au retour de la sérénité et d’un dialogue social apaisé.
L’abandon immédiat du plan de licenciements. Parce qu’il est absurde de penser que le développement de la compagnie, dans un contexte de croissance du transport aérien, se fera en réduisant son personnel (au sol et en vol), ses investissements (renouvellent d’appareils) et son offre (fermetures de lignes).
L’intervention de la puissance publique pour promouvoir des solutions alternatives et un autre avenir pour le secteur aérien français. Celui-ci dispose d’immenses atouts : image prestigieuse, première destination touristique mondiale, infrastructures aéroportuaires de qualité, premier constructeur aéronautique mondial (Airbus), et représentent des centaines de milliers d’emplois et une forte attractivité pour notre économie.
L’Etat, actionnaire de la compagnie doit agir. Il ne peut plus continuer à accepter que la direction d'Air France précipite l'entreprise dans un mur. Disposer d'une compagnie nationale est un enjeux et une condition de l'attractivité de notre territoire.  Il est de sa responsabilité d’engager un plan d’investissement massif pour Air France en s’appuyant sur une véritable stratégie d’intérêt national et en engageant une action forte de régulation de l’environnement économique très concurrentiel du secteur aérien.

La main visible de l'état doit en effet mettre un terme au puits sans fond de la stratégie de low-costisation de notre économie qui quand elle est exacerbée, n'est rien d'autre qu'une low-costisation des conditions de travail et des rémunérations des personnels. Enfin, l'état doit garder le contrôle public de nos aéroports et notamment d'Aéroports de Paris (ADP) afin de développer une nouvelle coopération économique avec Air France (par la baisse de la redevance aéroportuaire notamment).
Pour exprimer notre solidarité avec les salariés d’Air France retrouvons-nous à leur côté demain à partir de 13h place de la Concorde. Ce combat est aussi le notre.