mardi 29 septembre 2015

Les primaires, l’éteignoir des espoirs à gauche.

Nous sommes en septembre 2015 et voilà que le débat sur les primaires refait surface à gauche. Confronté à l’impasse dans laquelle tente de nous enfermer le gouvernement : devoir choisir entre l’extrême droite, la droite extrême et la « gauche » (qui n’a de gauche plus que le nom), certains tentent d’imaginer un nouveau chemin qui passerait par l’organisation de primaires. Mais plutôt qu’une nouvelle consultation d’un jour, c’est une véritable implication citoyenne que nous devons construire pour proposer un autre chemin au peuple français.

Indéniablement, en 2011, les primaires socialistes avaient été un succès démocratique mobilisant plus de deux millions et demi de votants. Mais, déjà, nous en constations les limites. Rémi Lefebvre soulignait que ce processus participait à la personnalisation et à la présidentialisation de la vie politique. Le débat démocratique s’était restreint à un casting entre « présidentiables ». Alors qu’il aurait fallu débattre du socle politique à partir duquel nous voulions mobiliser la société puis la transformer, la question s’est souvent résumée à se demander qui était le mieux placé pour battre Sarkozy. La machine médiatique a délivré son verdict et choisi son candidat, dès lors, les débats n’étaient, hélas, plus qu’une mise en scène de différents profils. Ces primaires ont permis de désigner un candidat, jamais d’associer les millions de citoyens et l’immense énergie populaire disponible à la construction d’un projet politique commun. L’échec du quinquennat de François Hollande en est l’immédiate traduction.

Les enjeux qui s’ouvrent à la gauche aujourd’hui sont d’une toute autre nature. Il ne s’agit plus de désigner celui ou celle d’entre nous qui est le mieux à même de battre le président sortant, mais d’ouvrir, dans la nécessaire recomposition qui vient, le chemin du rassemblement de toutes les volontés militantes et citoyennes disponibles pour dessiner une démarche politique inédite, ancrée à gauche et à vocation majoritaire.

De la machine à gagner en 2012 à la machine à perdre en 2015

Au Parti Socialiste, la mue libérale orchestrée par le gouvernement, a provoqué l’isolement du parti au sein de la gauche, la baisse inquiétante du nombre de ses militants, et, plus grave encore, un divorce avec son électorat traditionnel. Dés lors, comment pourrait-on escompter une large mobilisation du peuple de gauche pour désigner le candidat d’un parti qui n’a cessé de les décevoir pendant cinq ans ?

Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que l’organisation de primaires, même ouvertes au PRG, aux écologistes isolés, ou à tout autre bagage accompagné, rendrait acceptable, à gauche, la candidature de François Hollande ou de Manuel Valls. Nous ne sommes pas non plus de ceux qui pensent qu’une candidature issu des « frondeurs », quand bien même obtiendrait-elle un résultat notable, suffirait à changer la donne. Conscient de l’état de mort cérébrale dans lequel la gauche est plongée et du grand risque démocratique qui s’avance, nous refusons de nous cantonner à des rôles de figurants politiques qui se rallieraient au candidat social-libéral sitôt les primaires passées. Enfin, nous ne sommes pas non plus de ceux qui font le pari de reconstruire sur les décombres de nos appareils respectifs après 2017. Cette voie est bien trop dangeureuse. Nous affirmons au contraire notre volonté d’agir en amont pour proposer un autre chemin, une autre issue: celle d’une candidature alternative unique en 2017.

Dans l'autre gauche, les « primaires de l’espoir », proposées par Julien Bayou (associant la gauche du PS, l’ensemble du Front de Gauche, EELV et Nouvelle Donne) ne constituent pas non plus le graal politique que l’on pourrait espérer. Si nous partageons avec Julien la fervente volonté de créer un mouvement commun qui puisse porter la belle colère de toutes celles et tous ceux qui résistent à gauche, nous craignons que les primaires ne soient pas la bonne route pour y parvenir.

Parce que, une telle initiative serait nécessairement jugée à l’aune de la primaire socialiste de 2011. Et soyons clairs, compte tenu du saccage de la gauche opéré par François Hollande et de l’état moribond de nos organisations respectives, nous doutons de pouvoir réunir 2 800 000 votants sur une pré-présidentielle. La seule mobilisation des cercles militants initiés aux débats de l’autre gauche ne peut pas être une perspective démocratique satisfaisante.
Et surtout, parce que nous savons qu’au vu de l’immense tâche qu’elles ont à accomplir, les forces de l’autre gauche ne peuvent se permettre le luxe de s’affronter et de mener campagne les unes contre les autres des mois durant. Elles en ressortiraient collectivement essoufflées, laminées et terriblement affaiblies. Les aventuriers qui mettraient le doigt dans cette machine à fracturer y perdraient leur bras. Les mois qui viennent ne doivent pas servir à mettre en scène un artificiel affrontement qui verrait Pierre Laurent s’opposer à Cécile Duflot, qui elle même s’opposerait à Jean-Luc Mélenchon, qui lui même… Le grand désastre.

Nous sommes convaincus que la mobilisation et l’implication de toutes les énergies d’un peuple de gauche las des renoncements gouvernementaux depuis longtemps ne se fera pas autour d’une consultation-spectacle qui soulève beaucoup de poussière et élève des murs là où il y a urgence à construire des ponts. Nous devons proposer autre chose.

Créer du commun entre toutes nos familles au service des citoyens, sincèrement, sans sectarisme, sans bisbilles d’appareils ou de calculs politiciens, voila la seule responsabilité qui nous incombe à l’heure où les convergences qui nous rassemblent sont de plus en plus nettes. Sur l’impératif d’un éco-socialisme qui respecte l’humanité universelle et son environnement, nous sommes d’accord. Sur la nécessité d’une reconquête démocratique par la transformation des vieilles institutions de la Ve République, nous sommes d’accord. Sur l’urgence d’un nouveau partage des richesses en faveur du monde du travail pour vaincre la pauvreté et la précarité, nous sommes d’accord. Enfin, sur l’incontournable combat européen et l’assomption du rapport de force avec les institutions de l’Union, nous sommes encore d’accord.

Ce socle politique commun que nous avons patiemment construit depuis dix ans avec le combat unitaire contre le Traité Constitutionnel Européen, est précieux. C’est un  terreau fertile pour construire l’unité politique de notre camp, préalable au rassemblement populaire bien plus vaste auquel nous aspirons. Ne bradons pas cet acquis dans le siphon de primaires qui risquent d’absorber nos idées, notre unité naissante et nos énergies. La préparation des échéances présidentielles doit être l’occasion de créer les conditions d’une insurrection collective par l’implication citoyenne la plus large possible. Elle ne peut en aucun cas être le hochet de celle ou de celui qui aura réussi à se démettre de ses camarades de combat.

L’implication citoyenne, plutôt que la consultation éphémère

Plutôt que de consulter les citoyens le temps d’une primaire électorale, il faut les impliquer dans la construction d’une nouvelle démarche politique au service de leurs aspirations. Selon un récent sondage, 74% des français souhaitent que « les idées viennent des citoyens pour aider les élus » alors que seul 24% pensent que les « idées doivent venir des élus dont le rôle est d’avoir une vision et de convaincre les citoyens ». Nous devons tenir compte de ce renversement du modèle politique traditionnel.

Incontestablement, de notre capacité à créer les conditions d’une véritable implication citoyenne, dépendra notre réussite à construire un grand mouvement populaire autour d’une candidature unique de la gauche alternative en 2017.  

Soyons donc ambitieux sur la méthode, inspirons nous de ce qu’ont réussi à faire nos camarades de la (trop) grande région Midi-Pyrénée/Languedoc-Roussillon où l’ensemble des forces du Front de Gauche, d’EELV et des socialistes critiques ont choisi de constituer des Assemblées Citoyennes pour bâtir et porter une alternative. La règle est simple dans ces assemblées inédites : une personne = une voix. Militants politiques encartés, syndicalistes, acteurs associatifs, ou citoyens qui choisissent de s’impliquer dans la vie de la cité, tous peuvent décider collectivement des revendications, des choix de candidats et des options stratégiques de la liste. Voila comment concilier, dans une nouvelle alliance, la force incontournable de nos appareils politiques avec l’immense énergie citoyenne qui sommeille dans notre pays. Au lendemain de élections régionales, multiplions partout où nous le pouvons ces Assemblées Citoyennes. Déployons nos forces et notre savoir faire militant pour que chacune d’elle, partout sur le territoire, organise les cahiers de doléances du XXIe siècle en se tournant vers la société. Donnons la parole, collectons les idées auprès de tout ceux qui ont l’impression, depuis trop longtemps, que plus personne ne les écoute. Enclenchons l’insurrection citoyenne pour un nouveau mouvement commun.

La mise en place de quelques principes simples contribuera également à rétablir la confiance dans l’action politique comme le non-cumul ou les comptes-rendus de mandat. La pérennité des Assemblées Citoyennes au delà du scrutin électoral permettra à chacun de se réapproprier le pouvoir politique au quotidien et sur un temps long.  

Enfin, soyons à la hauteur de moyens de communication que le XXIe siècle met à notre disposition. En 2015, 42 % des Français indiquent avoir déjà signé une pétition en ligne et 26 % avoir déjà donné leur avis sur un projet ou un enjeu politique par Internet. L’espace à conquérir est donc immense pour ceux comme nous qui se réclament des masses. Permettons, autant que possible l’auto-organisation et la participation en ligne. Notre candidat ne sera pas le candidat des médias, ce n’est qu’en devenant notre propre média, grâce à la puissance des réseaux sociaux, que nous serons à même de diffuser un programme de transformation sociale et écologique.    

L’urgence est donc à la construction de ces belles Assemblées Citoyennes, dépassons nos chapelles respectives. De cette grande insurrection populaire, naîtra la légitimité de celui ou de celle à qui reviendra la noble tâche de porter nos colères et nos espoirs en 2017.

Mathurin Lévis, membre du Bureau National du Mouvement de Jeunes Socialistes.
Hugo Roëls, membre du pôle des relations unitaires et co-secrétaire du Xe arrondissement du Parti de Gauche.