Mercredi dernier, Manuel Valls montait à la tribune de l’Assemblée Nationale pour annoncer que le gouvernement avait recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter, sans vote, le projet de loi Macron, dont l’orientation avait été fortement contestée ces dernières semaines jusque dans les propres rangs de la majorité.
Mais de quoi le «49-3 » est-il vraiment le nom ?
C’est d’abord le nom d’une 5e République à bout de souffle.
Une République dans laquelle le président et le premier ministre peuvent décider
de soustraire l’adoption d’un texte de loi à la souveraineté nationale. Comment
ne pas ressentir un profond malaise devant ces députés socialistes qui
applaudissent fanatiquement lorsque le premier ministre leur annonce le recours
au 49-3. Ne se rendent-ils pas compte que par cette manœuvre, on les dépossède
de la souveraineté populaire dont ils sont les dépositaires ? Ne se
rendent-ils pas compte qu’à travers eux, c’est le peuple qu’on dessaisit ?
Qu’ils réécoutent François hollande, celui de 2006, qui déclarait à propos
du 49-3, que s’apprêtait à utiliser le gouvernement de Dominique de Villepin
pour faire adopter le CPE : « C’est une brutalité, c’est un déni de démocratie ».
Qu’ils relisent les amendements déposés par les parlementaires socialistes
en 2008 (dont M. Valls et M. Le Roux) dans le cadre du projet de loi de modernisation
des institutions de la Ve République, qui demandait qu’aucun projet de loi,
projet de loi de finance mis à part, ne puisse être adopté par la voie de l’article
49-3.
Ce coup « d’autorité » comme le revendique le premier ministre
est en réalité un passage en force. Ce n’est en aucun cas un acte de courage, c’est
un triste et consternant contournement démocratique.
Les institutions qui rendent possible une telle manœuvre sont des anomalies
qui doivent être profondément remaniées. Plus que jamais le combat pour une 6e
République doit être porté pour qu’à l’avenir, rien ne permette d’échapper au débat
parlementaire et à la souveraineté populaire.
C’est le nom d’une orientation politique qui n’a plus de majorité à l’Assemblée
Nationale.
C’est le principal enseignement de cette séquence politique. L’orientation politique
et les choix économiques effectués ces derniers mois, en rupture avec les
engagements de la campagne de 2012, ne dispose plus d’une majorité à l’Assemblée
Nationale. Après n’avoir pas été dans la capacité de rassembler toutes les
forces de gauche au lendemain de la victoire de 2012, ce gouvernement a, par
les choix politiques qui ont été les siens, écarté les écologistes du
gouvernement puis profondément fracturé sa propre majorité. La multiplication
de ses renoncements, puis sa lente mue en faveur d’une politique libérale et
austéritaire ont d’abord été mis en minorité dans les urnes par un peuple de
gauche qui s’est détourné de ce gouvernement, à mesure que ce gouvernement se détournait
de ses aspirations. Aujourd’hui, il est mis en minorité dans l’hémicycle. Pas
de majorité progressiste pour une politique qui ne l’est pas.
Manuel Valls, drapé dans les habits trop grands d’un premier ministre « de
combat » est en réalité à la tête d’un
gouvernement des fonds de tiroir, rabougri, rapetissé faute de n’avoir su fédérer
et rassembler autour d’une véritable ambition de transformation sociale et écologique
de notre société.
Pourtant une majorité de gauche existe au parlement, claire et large. Il n’y
a pas de fatalité. Cette majorité
pourrait disposer d’un soutien populaire si elle s’attachait à user de la dépense
publique pour répondre aux besoins populaires à la création d’emplois et à la transition
écologique. Si elle livrait un vrai combat contre les logiques de
financiarisation de notre économie en frappant le capital, les actionnaires et
les revenus financiers. Si elle engageait fermement le combat pour le partage
des richesses en augmentant les bas salaires et en retrouvant le chemin du progrès
social.
Pour faire tout cela, il existe une majorité rose, rouge, verte à l’Assemblée
Nationale. L’exemple grec de Syriza nous rappelle qu’il n’y a pas de fatalité à
ce que la gauche au pouvoir tourne le dos à ce qu’elle a promis avant d’y
parvenir.
Tout-e-s les député-e-s qui partagent cette certitude doivent entamer ce
travail commun. Sans eux, il n’existe pas de majorité pour la politique
austéritaire du gouvernement Valls. Avec eux, un nouveau chemin est possible. Ils
sont la pierre sans laquelle on ne peut rien construire de vieux, mais à partir
de laquelle on peut rebâtir.
C’est enfin le nom d’un gouvernement « réformateur » qui ne l’est
plus.
Le premier ministre, dans un exercice périlleux de service après-vente, se
pose depuis ce mercredi comme celui que rien n’empêchera de « réformer »
la France. « La loi croissance et activité passe à l’Assemblée. Rien n’arrête
le mouvement de la réforme » s’empressait-il de tweeter jeudi soir. « Même
pas la démocratie ! » serait-on tenté de lui répondre.
La reforme comme finalité est devenu l’adage du premier ministre. Sans savoir
pour qui ni même pourquoi, pourvu que l’on réforme. Pire le réformisme sauce
Manuel Valls semble dorénavant s’apparenter à une succession de déréglementation.
La rhétorique est bien rodée, souvent la même : le code du travail est un « répulsif
à l’emploi », il faut le liquider réformer. Les 35h handicapent
notre compétitivité, il faut les déverrouiller réformer. Le repos
dominical nuit au développement économique, il fait le supprimer réformer.
Les licenciements sont trop encadrés, il faut les faciliter réformer.
Monsieur le premier ministre, gouverner et réformer la France, ne peut pas
se limiter à revenir méthodiquement sur les réformes du siècle dernier, surtout
quand ces dernières se sont traduites par plus de protections, plus de droits
et plus de justice.
Faire cela, ce n’est pas réformer, c’est contre-reformer. Qu’on ne s’étonne
pas, soudain, de ne pas trouver de majorité pour le faire.